Sur les traces d’ Eugène Atget

INTRODUCTION

 

C’est tout à fait par hasard, que m’est venue l’idée pour ce livre (du moins si l’on croit au hasard : personnellement, je suis plutôt d’avis « qu’il n’y a pas de hasard »). Ou, comme l’a si bien exprimé Einstein : « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito. »

Tout commença en 1993. J’habitais, à cette époque, à Eastbourne, charmante petite ville balnéaire dans le Sussex, en Angleterre. J’avais déménagé de Londres à Eastbourne pour ouvrir un magasin de produits bio.

J’étais divorcée et j’élevais ma fille, seule.

Dans mon jeune temps, j’avais fait des études de photo, mais j’avais abandonné le projet de faire carrière dans la photo lorsque Marie-Hélène était née, car je voulais me consacrer avant tout à mon rôle de mère.

En 1993, ma fille avait 16 ans et elle avait un bon copain qui rêvait de pouvoir se lancer dans la photo. Il avait beaucoup de talent, mais il n’avait pas les moyens de s’acheter un appareil photo, puisqu’il élevait seul ses deux fils.

Je possédais un Nikon dont je ne me servais plus guère, faute de temps, et aussi parce que j’avais toujours trouvé cet appareil un peu lourd à trimballer. Je décidai donc de le donner  à ce jeune photographe si doué. Je m’étais dis  qu’un jour, lorsque j’en aurais les moyens, je m’offrirais un Leica.

Un Leica, c’était l’appareil dont j’avais  rêvé depuis mes 18 ans, lorsque j’avais commencé à suivre des cours du soir de photo professionnelle aux Arts et Métiers à Bruxelles. Mais cet appareil semblait tellement au dessus de mes moyens que je n’avais jamais vraiment envisagé d’en posséder un.

Quelques semaines après m’être défaite de mon Nikon, en passant devant  la bibliothèque de Eastbourne, je me sentis comme poussée à y entrer, bien que je n’avais pas beaucoup le temps de bouquiner et que de toute façon, ma maison était déjà remplie de livres qui attendaient d’être lus.

Une fois à l’intérieur, j’appris que la bibliothèque allait être fermée pour cause de travaux pendant plusieurs mois et que les responsables avaient eu l’idée (géniale !) d’inviter ses adhérents à emporter autant de livres que possible pour la durée de la fermeture,  ceci pour leur éviter d’avoir à déménager et à stocker ailleurs, une quantité énorme d’ouvrages.

Comme la lecture avait toujours été ma plus grande passion, cette invitation à prendre ce que je voulais, revenait au même  que de dire à un alcoolique qui se rendrait dans un débit de boisson, qu’il était libre d’emporter tout ce qu’il désirait !

D’ordinaire, je ne me serais pas arrêtée au rayon « photographie », mais avec l’excuse de vouloir alléger la tâche des bibliothécaires, j’entassai allègrement bouquin après bouquin, dans mes bras qui commençaient pourtant à flancher ! Et parmi la pile de livres que j’emportai, se trouva un livre de photos d’Eugène ATGET. En le feuilletant le soir même au lit, je fus étonnée de constater combien certains endroits à Paris, tels que la Porte Maillot – où j’avais vécu vers l’âge de 20 ans  lorsque je suivais les cours de photo à l’Ecole Louis Lumière – étaient méconnaissables, comparé au temps où Atget les avaient photographiés.

Et c’est ainsi que me vint l’idée que ce serait sans doute intéressant – aussi bien pour les nombreux passionnés de Paris que pour les admirateurs d’Atget.[1] – d’avoir  un ouvrage qui leur présenterait des images du  Paris d’Atget prises au début du nouveau millénaire. Si ma façon de vivre eut été basée sur la seule pensée logique, j’aurais sans doute regretté  le fait que je venais de me défaire de tout mon matériel photo.

En plus, comme mon magasin rapportait à peine de quoi nous faire vivre, ma fille et moi — vu que le bio n’était pas encore tendance à l’époque — j’aurais très bien  pu me dire que « ce projet Atget, c’était une bonne idée, mais que vu mon manque de moyens, ça ne resterait qu’un beau rêve, impossible à réaliser ».

Heureusement, non seulement j’avais dès mon plus jeune âge  cru aux miracles et mis en pratique instinctivement, et cela sans m’en rendre compte, les principes de la visualisation créatrice. Mais en plus, après mon divorce, j’avais trouvé sur mon chemin quantité de livres ; guides spirituels et amis qui m’avaient guidée à approfondir mes connaissances  dans le domaine de la métaphysique, et cela m’avait permis  de constater coup sur coup,  combien  la pensée logique limite nos possibilités.

Donc, même si je ne voyais pas comment je pourrais me permettre de me rendre à Paris, ou même de m’acheter un autre appareil photo, je savais que ce n’était pas un hasard que j’avais été guidée à aller à la bibliothèque ; que ce n’était pas non plus un hasard  que ce livre de photos d’Atget avait atterri chez moi et que ce n’était certainement pas un hasard qu’en le feuilletant, j’eusse  eu cette idée  de  projet  sur le «  Paris d’Atget en l’an 2000 » .

J’avais le sentiment profond que, puisque l’Univers m’avait mise  sur cette voie, d’une façon ou d’une autre, d’ici l’an 2000, Il  m’aiderait à trouver les moyens de réaliser ce projet.

Je décidai donc de ne pas me casser la tête pour trouver ces moyens, mais  au lieu de cela, d’ajouter ce projet  à la liste de tous ceux que je désirais réaliser dans le futur.

Une des façons de concentrer notre attention  sur nos projets, que j’avais apprise grâce aux livres de Sanaya Roman — qui sont une véritable mine de sagesse — consiste  à  imaginer un symbole   qui représenterait la parfaite réalisation du projet, et ensuite, d’imaginer le plus souvent possible ce symbole empli d’énergie positive.

Lorsque je commençai à éprouver de plus en plus de difficultés financières et que je me rendis compte que m’occuper du magasin ne me passionnait plus guère, je vis mes problèmes d’argent comme un signe qu’il était temps que je passe à autre chose. Et effectivement, par la suite, je reçus plusieurs signes, où je reconnu que j’étais guidée  à vendre mon magasin. Mais étant donné que depuis l’époque où je l’avais ouvert ce,  la Grande Bretagne avait connu une récession économique considérable, le prix de vente couvrait à peine les frais que je devais rembourser à la banque…et je me retrouvais donc pratiquement sans un sou en poche.

Après cette vente, je parvins à nous faire survivre, ma fille et moi (souvent grâce à de petits miracles !)…jusqu’au moment où Marie-Hélène fut prête à voler de ses propres ailes.

Lorsqu’elle eut trouvé un travail et un appartement  à partager avec un copain,  la jolie maison victorienne, avec ses parquets ; sa cheminée au feu de bois ; son jardin plein de fleurs sauvages et herbes aromatiques ( où l’été, tout un peuple de papillons venait faire la fête avec nous, et où les escargots étaient tout aussi welcome  à venir se gaver), et où nous avions eu la chance de vivre si heureuses toutes les deux, fut confisquée par la société de prêts immobiliers.

Les prix de l’immobilier avaient tellement baissés, que je n‘étais  pas parvenue  à trouver d’acheteur qui m’aurait permis de rembourser le prêt hypothécaire.

Mes amis s’étonnaient que cela ne me tracassait  pas outre mesure de perdre mon toit. Mais même si je n’avais aucune idée où j’allais atterrir jusque deux jours avant la date fatale, je voyais la perte de cette maison comme étant symbolique,  puisqu’elle représentait une phase de ma vie qui venait de se terminer : après avoir passé dix-huit années merveilleuses en compagnie de ma fille adorée, je me retrouvais  maintenant à nouveau célibataire et du coup, j’avais l’impression d’avoir à nouveau vingt ans.

Il y eut bien quelques moments où je ressentis de l’angoisse devant mon avenir incertain.

Mais  lorsque je prenais le temps de méditer, je réalisai  que  lors de moments difficiles précédents, je m’en étais sortie, et que si  cette Force Universelle – que certains préfèrent appeler Dieu –  m’avait toujours soutenue jusqu’à présent, elle n’allait pas maintenant m’abandonner, si je m’en remettais à elle.

J’avais fini par trouver un travail manuel de nuit, ce qui n’était certes pas du tout idéal. Mais je tenais mon but en tête : écrire des scénarios de films et peut-être même devenir réalisatrice.

Entre temps, je n’avais pas oublié le projet Atget et continuais à visualiser mon symbole pour celui-ci, et  à l’imaginer rempli d’énergie positive.

J’avais déjà si souvent fait l’expérience, que lorsqu’ on est prêt à croire en ses rêves, même si logiquement  nous ne voyons pas comment ils pourraient se réaliser, il y aura des miracles et nous finirons par avoir ce que nous désirons ou même mieux.

Mais pour cela – du moins selon mon expérience – il faut être prêt à prendre des risques, en suivant notre intuition, plutôt que d’opter pour les  solutions qui peuvent nous sembler les plus confortables, mais qui ne nous permettront pas  à la longue, de réaliser nos rêves.

Lorsque  l’entreprise pour laquelle je travaillais décida que les emplois mi-temps coûtaient trop chers et qu’ils allaient donc être supprimés, si j’avais opté pour la solution offrant la sécurité d’emploi, c’est à dire d’accepter de travailler à temps complet pour  un salaire dérisoire, je serais sans doute toujours là-bas et ce livre   « Sur les traces d’ATGET EN L’AN 2000 » n’aurait probablement jamais vu le jour.

Même si je n’avais aucune envie de me retrouver au chômage, je sentis que par le biais de cette restructuration interne au sein de la compagnie, l’Univers me faisait signe qu’il était temps que je quitte ce travail qui ne me correspondait pas du tout. (Entretemps, j’avais néanmoins réussi à écrire deux scénarios long-métrages).

Je continuai à méditer ; à visualiser et j’essayais de ne pas me décourager : lorsqu’il m’arrivait d’être si fauchée que je n’avais pas de quoi acheter le journal pour scruter les petites annonces, je me disais  que l’Univers me guiderait à trouver le travail qui me conviendrait, par un de ces hasards qui n’en n’est pas un. Et effectivement, la seule fois où ma propriétaire me laissa son  journal dans ma boîte aux lettres, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant, j’y trouvai une annonce pour un poste  de « Tour Manager » pour une  compagnie de voyages organisés, où une connaissance des langues  était un atout.

Je posai donc ma candidature (même si je n’avais aucune idée en quoi consistait ce travail) et malgré le fait que je n’avais aucune expérience dans le domaine de  l’industrie du tourisme, je fus acceptée pour suivre la formation.

Celle-ci commençait le jour de mon anniversaire, ce que vis comme un bon présage! Et, en effet, à ma grande joie, je fus acceptée.

Même si ce nouveau travail n’était pas vraiment ce que je voulais faire (je rêvais de pouvoir me consacrer à temps complet à tous les projets créatifs que je voulais réaliser), il me  rapprochait cependant de mon but, puisque je me retrouvais de temps en temps à Paris.

Certes, je n’avais pas le loisir d’explorer le Vieux Paris d’Atget, puisque j’avais à chaque fois à charge des groupes d’une quarantaine de personnes. Mais je voyais le fait d’être à Paris, comme un signe que je me rapprochais de mon but.

Il est vrai que je n’avais toujours pas les moyens de m’offrir un Leica.

Mais après tout, on n’était pas encore en l’an 2000 – date que j’avais fixée pour réaliser ce projet.

Jusqu’alors, je m’étais sentie tout à fait  at home  en Angleterre et je m’étais toujours dit que je ne pourrais pas vivre ailleurs. Mais entre temps,  au cours de mes voyages en France, j’étais tombée amoureuse de Paris et de tous les autres endroits merveilleux en France que j’avais eu la chance de découvrir en les faisant visiter à mes passagers.

Et quand vint janvier 2000, je me sentis soudain attirée par l’idée de changer de pays.

A nouveau, mon entourage s’étonna – tout comme au temps où je perdis ma maison –, que j’étais prête à laisser derrière moi  pratiquement tout ce que je possédais,  pour repartir à zéro de l’autre côté de la Manche.

J’étais tellement convaincue que c’était l’Univers qui me guidait à  quitter l’Angleterre pour la France, que j’étais prête à partir, même si  le Tour Operateur pour lequel je travaillais n’aurait pas été d’accord de me garder. Mais en fait, lorsque je leur fis part de ma décision de m’installer à Calais, ils me dirent  que pour eux ça ne posait aucun problème que je rejoigne les passagers à Calais plutôt qu’à Douvres. Au contraire, cela leur éviterait des frais supplémentaires et c’était donc du gagnant/gagnant.

Juste avant mon départ de l’Angleterre, j’avais eu la chance qu’on m’avait attribué des voyages qui m’avaient si bien rapportés, que je pus me permettre, après que les passagers fussent repartis,  de rester quelques jours de plus  à l’hôtel où nous avions logé avec le groupe, ce qui me permis d’ explorer Paris toute seule, à mon aise.

Et c’est ainsi que, par un beau dimanche d’été,  je me suis retrouvée au Marais, quartier que je n’avais pas encore eu l’occasion de découvrir jusqu’alors.

En partant de l’hôtel ce matin là, j’avais pensé à mon projet Atget en me disant que puisqu’on était  déjà en juin 2000, il serait peut être temps que quelque chose se passe. J’avais donc envoyé une petite supplication à l’Univers :

«  please, can I have some help ! »

Et c’est en suivant cette intuition qui m’avait toujours si bien guidée, que je me suis retrouvée « tout à fait par hasard », à l’Hôtel de Sully où justement, se tenait une expo Atget.  J’ai vu cela comme un signe !

Lorsque ma plus ancienne amie, qui avait toujours encouragé  mes projets, me dit que son mari me prêterait volontiers un de ses appareils photo, je me vis enfin dans la possibilité de commencer la réalisation de ce projet.

Régine habitait Bordeaux et je n’avais pas vraiment les moyens de me payer le voyage pour aller chercher l’appareil photo.

Et c’est là que l’Univers me donna encore un de ces innombrables coups de pouce merveilleux : à la fin de  l’été, certains voyages que je devais faire comme accompagnatrice de mes Toutous anglais furent annulés et à leur place, on m’envoya….à Bordeaux !

Je pus donc ramener le Minolta. Et à partir de là, je pus me rendre un jour ,çà et là, de Calais à Paris, appareil photo en bandoulière.

Pendant des journées entières – tout comme l’avait fait Atget – j’ai   parcouru à pied, la ville que je considère comme une des plus belles du monde et ce fut une aventure qui me procura des joies immenses ; des rencontres intéressantes, et la découverte  de coins de Paris, tout aussi magiques les uns que les autres.

La recherche de ce Paris d’Atget en l’an 2000 a également donné lieu à des situations amusantes, voire franchement cocasses.

Ainsi, alors que je m’apprêtais à faire ma première photo, qui, il faut le dire, aurait découragé quelqu’un de moins optimiste, car au lieu du magnifique immeuble qu’Atget avait photographié cent ans auparavant, se trouvait maintenant un de ces affreux trucs en béton, dont on se demande si l’architecte était un sadique qui se moquait du monde en créant  une telle monstruosité, deux CRS – mitraillette au poing – postés à côté de l’immeuble, me firent de grands signes qui semblaient dire : « Eh là, qu’est ce que vous faites, ma petite dame » ! J’ai donc été leur demander gentiment s’il y avait un problème et il s’est avéré que cette monstruosité  se trouvait à côté d’un immeuble à haute sécurité.

Heureusement, j’avais bien vite constaté en venant vivre en France, qu’ici,   même les CRS sont avant tout des hommes qui aiment les femmes et que, du moment qu’on se montre charmante avec un Français, à quelques rares exceptions près, ils seront tout aussi charmants avec vous.

Donc, ces gentils CRS, après que je les eusse rassurés que je n’étais ni une espionne, ni une terroriste, et que – mon livre de photos Atget à l’appui – je leur eusse montré que je voulais  simplement photographier des endroits qu’Atget avait pris en photo il y a 100 ans, se sont soudain pris d’un tel enthousiasme pour l’affaire, qu’ils se montrèrent embêtés pour moi, qu’une  grue bloquait  en partie  la vue ! Et donc, les voilà tous deux  en train de me servir d’assistants pour trouver le meilleur angle, sans grue. Si ça n’avait tenu qu’à eux, je parie qu’ils auraient commandé un camion-remorque pour flanquer la grue à la fourrière !

Donc, même si ce premier immeuble sur ma liste s’était avéré plutôt décevant, l’enthousiasme des charmants CRS  m’avait semblé tout à fait de bon augure et du coup, sans le leur dire, je les adoptai sans hésitation comme mes mascottes.  Si jamais  l’un d’eux se trouvait  par hasard en possession d’un exemplaire de ce livre et se reconnaissait, qu’il sache que je lui envoie un tout gros bisou  en guise de remerciement !

Une autre fois, je me suis retrouvée Rue de la Grande Truanderie, un samedi après-midi, où cet endroit devient, apparemment, le rendez-vous des « Gothiques » de Paris. …Décidément, rien de tel que de se lancer sur les traces d’Atget pour parfaire son éducation, car jusqu’alors, je n’avais aucune idée qu’il existait des « Gothiques ».  En voyant leur abord  qui me semblait plutôt rébarbatif, je me suis demandé  s’ils n’allaient pas  me prendre en grippe si je me mettais à faire des photos, sans que  j’aille d’abord leur expliquer que ce n’était pas eux, mais les immeubles que je visais.

En fait, dès que  je me suis donnée la peine d’aller leur parler gentiment, j’ai pu  constater que même si cette mode gothique  a un aspect tout ce qu’il y a de plus lugubre, ses jeunes adeptes étaient, par contre, tout à fait sympathiques, même si Eugène, eux, ça n’a pas semblé les passionner tellement, contrairement à mes chers CRS. Ils ont néanmoins été  ravis d’être dans la photo !

Presque partout où je m’arrêtais pour faire des photos, je rencontrais des gens sympa qui  m’abordaient,  la plupart du temps parce qu’ils avaient remarqué que je consultais le bouquin de photos  d’Atget avec ferveur  avant de faire mes photos, et qu’eux aussi étaient des fans de ce cher Eugène.

Le patron du « Réveil Matin », Avenue des Gobelins,( qu’une vieille dame – qui se disait ‘anarchiste’ – m’avait conseillée d’aller voir, pour savoir où avait disparu la Bièvre), fut tellement ému en feuilletant le bouquin, qu’il en avait les larmes aux yeux,  en pensant à tous ces endroits  merveilleux, dont beaucoup hélas, ont aujourd’hui disparu. Il a insisté de m’offrir à boire. Je lui ai fait remarquer  que ce n’était pas en offrant à boire gratis qu’il allait faire fortune ! (ce qui n’est pas tout à fait vrai, car à l’exemple des Amérindiens, j’ai constaté que tout ce que l’on donne par amour, le Grand Esprit  nous le rendra maintes fois multiplié!). J’ai donc fini par accepter  un petit café, tout en bénissant  cette âme si généreuse – et si caractéristique du charme unique de Paris –  en lui souhaitant de faire fortune tout de même !

Et c’est bien grâce à  d’authentiques Parisiens tel que lui, qu’à la fin de mon périple, je m’exclamai, le cœur débordant de tendresse et d’allégresse : « Ah Paris !  Pour moi, c’est vraiment la ville, non seulement la plus belle du monde, mais aussi la plus enchanteresse ! »

Lorsqu’à la fin de l’automne 2000, je rendis le Minolta que Jean Denis m’avait prêté, c’était d’une part avec un sentiment d’immense gratitude, car la réalisation de ce projet avait été une aventure qui me laisserait à tout jamais de merveilleux souvenirs – ainsi que le sentiment d’avoir réalisé un travail qui avait une signification historique. Cependant, par ailleurs, je rendis cet appareil, avec un léger pincement au cœur à l’idée que cela signifiait que l’aventure était bel et bien terminée….Et Paris regorge d’un nombre tellement illimité de coins pittoresques – dont peu avaient échappés à l’objectif d’Atget – que j’aurais certes pu continuer à les photographier avec autant de plaisir, si j’en avais eu les moyens.

Il faut croire que lorsque nous faisons les choses par pure passion et amour, (et que nous croyons aux miracles), l’Univers aime nous faire des surprises,…au moment où l’on s’y attend le moins !

Comme je n’avais aucun contact dans le milieu artistique parisien et que je suis de nature assez timide, mes quelques tentatives pour essayer de trouver soit un éditeur pour un livre de photos, soit  un organisme officiel qui serait intéressé d’organiser une exposition, n’aboutirent guère : la plupart du temps, je ne recevais même pas de réponse à ma demande.

Mais j’avais appris, grâce à plusieurs expériences que j’avais faites dans ma vie, que lorsque les choses n’arrivent pas, c’est toujours parce qu’il y a quelque chose de meilleur qui nous attend (du moins si nous restons positifs). Soit dit en passant, j’ai toujours eu foi en la Providence et il faut croire qu’il y a du vrai dans la théorie philosophique qui explique que nos pensées créent notre réalité, car même si j’ai passé par des moments durs dans ma vie, lorsque je m’en suis remise à la Providence, il y a toujours eu des miracles).

Et cette fois-ci ne fut pas une exception. Il vint un moment où je commençais à ressentir du découragement devant les portes qui restaient fermées. Le fait que j’habitais Calais et que je n’avais guère les moyens de faire réaliser des tirages multiples et de me permettre des visites auprès des maisons d’édition semblait un handicap. Faute de pouvoir financer des tirages à grand format, j’avais fait réaliser quelques photocopies lasers et l’hiver venu, je décidai de les envoyer à ma fille, qui habitait toujours Londres et qui s’intéressait à la photo. Je m’étais dis que ces tirages lui plairaient peut être.

Ah si j’avais pu deviner la suite ! D’abord, ma fille qui n’a pourtant pas l’habitude de s’enthousiasmer pour mes projets et avait, par exemple, toujours refusé de lire mes scénarios de films pour me donner son avis, en me rétorquant  que ce que je pondais ne serait sans aucun doute pas du tout son genre de truc,  réagit cependant avec enthousiasme au sujet des photos que je lui avais envoyées.

Elle travaillait à cette époque dans la City  et apparemment ses collègues – qui n’étaient pourtant pas férus d’art photographique – avaient néanmoins montré de l’enthousiasme pour ces prises de vues de Paris.  Ce boost fut le bienvenu, car un manque de confiance en moi  était resté mon  point faible.

Du coup, j’avais repris du poil de la bête.

Et ce n’était pas fini ! A cette même époque, Marie-Hélène devint amie avec le « Art Director » de Time magazine. Celui-ci l’invita à l’accompagner au vernissage d’une exposition photo noir et blanc à New York. Lors de ce vernissage, alors que Marie-Hélène discutait avec le photographe, en compagnie de son nouvel ami de Time Magazine, elle mentionna mon projet Atget et tous deux  semblèrent trouver que c’était une excellente idée originale. Donc, à la première occasion, (vu qu’heureusement ma fille n’a pas hérité de ma timidité et de mon  manque de confiance en moi), elle montra à Paul, le portfolio de fortune que j’avais constitué. Il témoigna tant d’enthousiasme pour mon travail que lorsqu’il apprit que je n’avais plus d’appareil photo, il alla, le lendemain même, m’acheter un Nikon d’occasion, en disant à ma fille que je pourrais le rembourser quand j’en aurais les moyens. Je fus touchée plus que tout par ce geste, même si j’aurais préféré attendre de pouvoir me permettre d’acheter un Leica d’occasion.

Mais il était écrit que j’étais censée effectivement  retracer les pas de ce cher Eugène avec un Leica, si seulement pour prouver que dans la vie tout est possible lorsqu’on  parvient à y croire !

Voilà ce qui se passa : le weekend après que Paul eut acheté le Nikon, celui-ci fut volé. J’en fus évidemment très désolée pour lui.  Et je lui tiendrai éternellement gré de son geste si généreux pour quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Mais plus que tout, c’était son appréciation sincère de mon travail photographique qui m’avait touchée au plus profond de mon âme et je compte bien lui témoigner mon immense gratitude avec les premiers bénéfices.

Entre temps, l’intérêt de Paul pour mes photos m’avait soudain donné une telle énergie positive que j’étais déterminée d’acquérir un Leica, afin de pouvoir compléter les photos que j’avais déjà prises.  Je sortis donc ma copie du bouquin « Creating Money »[2] – ouvrage qui explique les lois spirituelles de l’abondance, ainsi que la façon de  les appliquer pour attirer vers soi ce dont on a besoin.

Je pris le temps de visualiser l’appareil que je voulais ; les objectifs qu’il me fallait….Et voici que trois semaines plus tard, en me laissant guider par mon instinct, je trouvai  « par le plus pur des hasards »[3],  dans une petite boutique de photo à Canterbury, un Leica  d’occasion, avec exactement les deux objectifs que j’avais visualisés, et le tout pour un prix  tellement intéressant  que je n’hésitai pas à  me l’offrir, au moyen de ma carte de crédit (ce qui n’a jamais été dans mes habitudes).

C’est donc avec l’appareil dont j’avais rêvé depuis mes 18 ans que je suis repartie une seconde fois sur les traces d’Atget. L’avantage du Leica, c’est qu’il  combine la perfection technique avec une légèreté très appréciable lorsqu’on part en balade à pied pendant de longues journées.

Avec le recul, je suis contente d’avoir entamé ce projet avec le Minolta d’emprunt à objectif unique (un 50 mm), car je trouve que les deux appareils différents m’ont permis des prises de vue bien spécifiques.

J’espère de tout cœur que vous, qui feuillèterez ce livre , peut être assis(e) à une terrasse de café dans un coin sympa de Paris, ou alors  chez vous, en hiver, confortablement installé(e) – du moins c’est ce que je vous souhaite – au coin d’un feu de bois parfumé aux senteurs de pin ou de cèdre, peut-être  en écoutant  de la belle musique [4], vous   puissiez éprouver  autant de plaisir, que moi j’en ai éprouvé en  prenant ces photos pour vous.

Mais, par ailleurs, j’espère que  l’histoire de mon aventure pour en arriver là, vous encouragera à toujours poursuivre vos rêves les plus chers

Comme l’a si bien résumé DENISE LINN, qui est de souche Cherokee et qui  a été une de mes guides  spirituels  les plus remarquables :

“The only thing that stands between you and what you want is limiting beliefs”.

(Les seuls obstacles qui puissent vous empêcher d’atteindre votre but, c’est vos propres pensées trop limitées).

[1] …en fait, peut-on être passionné de Paris et ne pas l’être en même temps, d’Atget ?

[2] Creating Money – Sanaya Roman et Duane Packer. www.orindaben.com

[3] (entendez’ intuition’, car le hasard, selon moi, cela n’existe pas)

[4]  Je voudrais suggérer comme accompagnement musical idéal, les Gnossiennes et Gymnopédies d’Erik Satie.